[Faculté du langage & Cognition] Journée Faculté du langage & Cognition

26
juin.
2017.
Journée
entière
Enoch Aboh (U. Amsterdam) & Alex Cristia (CNRS)

Salle de conférences

Journée de l'axe transversal Faculté du langage & Cognition

Conférences invitées

10-12 Alex Cristia (CNRS, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique)

What shapes language (acquisition): Structure, function - both or neither?

12-14 pause déjeuner

14-16 Enoch Aboh (U. Amsterdam)

 La grammaticalisation : un changement de population (résumé pdf)


Alex Cristia (CNRS, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique)
What shapes language (acquisition): Structure, function - both or neither?

There is a long-standing debate on whether language acquisition can be captured primarily by the description of a hypothetical "language acquisition device", or whether linguistic knowledge emerges as a side effect of functional pressures as children try to communicate - a debate between "generative/structural" and "usage-based/functional" approaches. In the last 15 years, the very foundations of the debate have been shattered by, on the one hand, a rapprochement to the center from both sides and the emergence of a middle-ground of so-called "statistical" approaches, and, on the other, mounting evidence that certain characteristics deemed necessary by both extreme camps may actually be missing in otherwise functioning linguistic communities. In this talk, I will draw from descriptions of emergent sign languages, typical and atypical language acquisition research, and individual variation studies to discuss: a) to what extent  languages may be shaped by those who acquire, learn, and use them; and b) to what extent language acquisition might actually be the result of processes that are not language-specific.


Enoch O. Aboh (Université d’Amsterdam)

La grammaticalisation : un changement de population

Une question centrale en linguistique empirique et en linguistique formelle concerne la variation typologique et ce qu’elle nous enseigne sur l’évolution du langage. Une façon d’aborder cette question a été de proposer que l’usage récurrent de certaines structures langagières dans des situations communicatives données peut influencer la structure même de la langue et favoriser l’émergence de nouvelles formes grammaticales à partir de matériaux lexicaux. C’est ce qu’on a appelé la grammaticalisation : un processus par lequel un item lexical acquiert une propriété grammaticale et au fil de longues années se mue en marqueur grammatical spécifique (p. ex. l’évolution de pas en marqueur de négation en français). Le cycle de grammaticalisation ainsi décrit semble donc être le résultat d’une évolution à sens unique (un élément lexical devient une marque grammaticale) qui va de pair avec des propriétés linguistiques (p. ex. changement de catégorie syntaxique, changement sémantique et changement morphologique). Voir, par exemple, les travaux de Givón (1971), Heine (2003), Heine and Kuteva (2005). Cette évolution semble également engager des générations successives d’apprenants/locuteurs, tout comme si les générations nouvelles avaient pour mission de poursuivre les restructurations grammaticales initiées par leurs aînés. La théorie de la grammaticalisation semble donc expliquer pourquoi et comment les langues changent. Mais les langues changent-elles vraiment ?
Dans cet exposé, je vais défendre l’idée que les langues ne changent pas, mais que ce sont plutôt les populations d’apprenants/locuteurs qui changent. Partant de cette idée, je montre que le phénomène décrit comme grammaticalisation représente en fait, une séquence de pratiques langagières synchroniques distinctes au sein d’une communauté linguistique. Compilées ensemble sur un axe temporel défini, comme c’est souvent le cas en linguistique historique, ces pratiques langagières distinctes, nous apparaissent comme relevant d’un développement linéaire étalé dans le temps : la diachronie. Je proposerai que la grammaticalisation n’est pas un phénomène linguistique et ne nous renseigne pas sur le changement linguistique. Elle nous informe plutôt sur la structure de la population d’apprenants/locuteurs, et les changements qu’elle a connus au cours de son histoire. Quant à la question du changement linguistique, j’y réponds en proposant qu’il découle de l’apprentissage du langage qui, du fait qu’il se déroule dans un milieu linguistique hétérogène, donne naissance à une grammaire mentale hybride. Cette hybridité génère une variation intrinsèque aux inputs qui serviront de données d’apprentissage aux futurs apprenants. Chaque apprenant est donc porteur d’un changement potentiel, selon que les variations dont il est porteur se répandent ou non au sein de sa communauté (Aboh 2015). Il ressort de cette approche qu’il n’y a pas, à proprement parler, de phénomène linguistique unidirectionnel tel que la grammaticalisation et les générations nouvelles ne sont pas dépositaires des restructurations grammaticales de leurs aînés.