[Grammaires Créoles] Vinciane Vauclin (U. Complutense de Madrid & Sorbonne U.)

26
oct.
2020.
14h00
17h00
De l’espagnol au créole : des marqueurs *hombre* et *mujer* à *manman* et *fow*

visioconférence (UPS Pouchet en travaux)

Vinciane Vauclin (U. Complutense de Madrid & Sorbonne Université)

De l’espagnol au créole : des marqueurs hombre et mujer à manman et fow

Les marqueurs du discours sont des termes ou des expressions qui ne contribuent pas au sens propositionnel du discours, oral ou écrit, mais qui donnent des informations sur le cadre énonciatif et pragmatique de celui-ci (Dostie, 2004). Ils renseignent, par exemple, sur le degré de certitude du locuteur par rapport à ce qu’il dit (je crois, il me semble), sur la source de l’information (visiblement, selon x), sur l’attitude du locuteur par rapport au discours de l’allocutaire (en effet, pas du tout, oh !), sur la relation entre interlocuteurs (c’est ça, genre, tiens !), etc. Les classes grammaticales traditionnelles ne sont pas à même de décrire le fonctionnement des marqueurs du discours puisque les éléments linguistiques qui font partie de cette classe sont de nature très diverse (adverbes, verbes, interjections, expressions figées…).

Ce travail se donne pour objectif de décrire d’un point de vue sémantico-pragmatique le fonctionnement des marqueurs du discours des langues créoles antillaises, comme manman (maman) ou fow (frère), qui connaissent des emplois interjectifs et/ou appellatifs. Voici quelques exemples issus du réseau social Twitter :

(1)             Dites vous y a une meuf elle est passée devant moi qd j’attendais que le metro arrive et qd j’ai dis « Manman » parce que y avait plus d’espace elle m’a dit « fallait attendre le prochain »

(2)             Manman ! qu’est-ce qu’il y a des gens bizarres en soirée !

(3)             Ah ouais fow tout pour les desperinha du garage fow, le truc te boule en 2 secondes 30

En (1), manman a une fonction interjective : le marqueur sert à exprimer un agacement face au comportement de son interlocuteur. Ici le locuteur ne réagit pas à un discours mais à une action que le locuteur estime incorrecte et donc surprenante. En (2), manman est employé en tant qu’interjection pour exprimer l’étonnement, ce serait un équivalent de « mon dieu ! ». Dans ce cas, le marqueur ne se réfère pas à l’allocutaire, qui pourrait aussi être de sexe masculin ou féminin. Cette deuxième valeur témoigne d’un plus haut degré de pragmaticalisation : l’emploi du marqueur ne nécessite pas la présence d’un allocutaire. Dans le cas de (3), fow sert non seulement à interpeller l’allocutaire, mais également à ponctuer le discours tout en l’inscrivant dans un certain contexte social. Toutefois, le destinataire n’est pas forcément de sexe masculin.

La variabilité des fonctions témoigne d’un usage non standardisé de la langue qui évolue sur un axe diachronique et sur un axe diatopique. Cette recherche portera sur des marqueurs issus des langues créoles de base française des Antilles et de la Guyane française. Face au français métropolitain, ces langues créoles emploient davantage de termes d’adresse de type humain (Cappeau & Schnedecker, 2017). En français, la grammaticalisation de ce type de marqueurs n’aboutit pas à des emplois autres que celui du terme d’adresse, comme c’est le cas en espagnol (tío/tía, hombre/mujer, hijo/hija), particulièrement prolifiques dans ce sens. Étant donné ce vide dans la langue française, les locuteurs créolophones ponctuent souvent leurs discours en français avec des marqueurs d’origine créole (Bernabé, 1983).